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mercredi 7 août 2013

La République des Humbles

Lettre ouverte au Président bolivien Evo Morales: Et si vous donniez définitivement l'asile politique à Mr. Snowden?


Publié au HffingtonPost Maghreb : lien
07/08/2013






Je réagis ici à la lettre édifiante de M. Morales publiée par le Monde Diplomatique (N 713, Aout 2013), une leçon de courage et de dignité.
Si j'écris cet article quelque peu provocateur, c'est surtout pour fustiger la politique étrangère des gouvernements européens, une politique néocoloniale aux antipodes des valeurs que prétend représenter le "monde libre", des pratiques reflétant du mépris pour les peuples du tiers monde.
C'est aussi pour exprimer mon indignation contre l'atteinte à l'honneur des peuples de ce vieux continent par le concours de la France, l'Italie, l'Autriche et l'Espagne dans l'agression, sur le sol européen, du grand peuple bolivien et de son président, symbole de la dignité recouvrée des peuples d'Amérique latine.
Le jeu de l'impérialisme américain
Mais c'est aussi l'honneur de la France du Général de Gaulle et des Etats européens, en soumission totale à l'empire américain, qui est atteint. Cet alignement aveugle des Etats européens, et surtout la France, sur le diktat d'un agenda transatlantique dominé par la vision américaine, va à l'encontre de la tradition gaulliste dans son rapport avec les ambitions impérialistes du pays de l'Oncle Sam. C'est en 2007, par une déclaration surprise à Washington, que Nicolas Sarkozy a annoncé le retour de la France dans le commandement intégré de l'OTAN. Pour beaucoup de gaullistes, cette décision a été perçue comme une trahison de la France en faveur d'une idéologie surannée et dépassée, celle de l'impérialisme primaire à l'américaine. L'agitation du "petit Nicolas" est venue défaire ce qu'avait bâti le "Grand De Gaulle".
En parlant de la collaboration aveugle de l'Europe avec les États-Unis dans son artificiel combat contre le terrorisme, M. Morales a souligné que "la guerre contre le terrorisme aura réduit la vieille Europe au rang de colonie". J'ajouterais que plusieurs gouvernements arabes, y compris ceux issus d'élections post-"printemps arabes", font aussi le jeu de l'impérialisme qataro-américain sur les terres saintes de la révolution.
Après avoir accueilli la première réunion des "ennemis du peuple syrien" en mai 2012, c'est le 18 juillet 2012 que le président tunisien Moncef Marzouki a déclaré, devant l'Assemblée nationale française, qu'"un Maghreb uni, prospère et stable serait un sas de sécurité pour l'Europe contre l'immigration clandestine et le terrorisme dans la région du Sahel...". Moins d'un an plus tard, c'est au tour de son homologue égyptien, Mohamed Morsi, de déclarer son allégeance au grand empire, en accueillant un énième sommet des "ennemis du peuple syrien", et en allant même jusqu'à appeler au jihad en Syrie contre l'Armée arabe syrienne. Toutes ces déclarations d'allégeance et de soumission ont pour objectif de saper le moral des révolutionnaires en réduisant la Tunisie post-révolutionnaire, tout comme l'Egypte, à une muraille protectrice pour le vieux continent contre la misère africaine. L'Egypte de Morsi multipliera par ailleurs les promesses de respect des accords de paix avec Israël. Sans oublier le silence assourdissant des Frères musulmans au moment des bombardements de Gaza, ainsi que le survol, par des avions de chasse israéliens, du sol égyptien pour bombarder, en toute impunité, une usine de munitions à Khartoum soupçonnée de fournir de l'aide à la résistance palestinienne.
Mais les révolutions arabes, et la révolution tunisienne en tête, finira par triompher. Il viendra alors le jour où elle rayonnera sur le monde entier par ses valeurs fondatrices et les rêves qu'elles aura concrétisés. L'histoire inscrira la révolution tunisienne comme un tournant de l'histoire des peuples libres qui aura changé la face du monde.
Terrorisme et dépendance
Je reviens aussi sur ce que M. le Président Morales a évoqué à propos du prétendu combat contre le terrorisme, que l'Europe prétend mener avec les Etats-Unis, en affirmant que les dernières années ont prouvé, sans équivoque, que le terrorisme n'a été qu'un moyen, au service de ces puissances impérialistes, pour mieux régner. Plus qu'un alibi d'ingérence politique et économique directes, le terrorisme est un outil de cloisonnement qui crée un état de psychose intérieure et extérieure. La méfiance mutuelle qui a toujours caractérisé les relations inter-arabes, ainsi que le climat de violence politique qui domine ces pays, ne favorisent pas le développement politique et économique. Le terrorisme maintient ainsi les régimes arabes en état de dépendance totale vis-à-vis de l'Occident.
Mais le terrorisme est également un nouveau moyen pour l'Empire américain et ses colonies européennes d'asservir leurs propres peuples par la peur et la méfiance, afin d'imposer des politiques sécuritaires au service des grands groupes militaro-industriels et cloisonner les citoyens d'un même pays. Ce terrorisme d'Etat crée des consommateurs dociles et soumis, qui acceptent volontiers de se faire espionner, et des consommateurs internationaux, comme les pays du Golfe, qui acceptent de s'entretuer pour sauver leurs monarchies décadentes. L'ancien Secrétaire d'Etat américain Henry Kissinger lui-même avait dit: "Nous vendons des armes à des présidents qui en ont besoin pour affronter des peuples qui ont besoin de pain".
On ne peut plus parler de liberté
Venons-en maintenant à M. Snowden, cet informaticien trentenaire, anciennement employé en tant que conseiller auprès de la CIA et de la NSA, et qui a eu le courage de révéler au grand public un gigantesque programme d'espionnage mis en place par le gouvernement américain, avec la complicité de quelques géants de l'internet et des réseaux sociaux (facebook, google, MSN,...).
M. le Président Evo Morales, la Bolivie et les peuples Bolivariens de l'Amérique du Sud doivent continuer de montrer la voie et donner l'exemple en "gouvernant pour les humbles" comme vous l'avez si bien fait et expliqué. M. Snowden en est un, je ne crois pas qu'il y a cherché un quelconque intérêt, comme l'ont prétendu certains. M. Snowden est un humble mais surtout un indigné, un révolté qui a refusé d'être complice des crimes organisés de ces Etats voyous qui bafouent les droits les plus fondamentaux des peuples, le droit à la vie privée, sans laquelle on ne peut plus parler de liberté.
Comment peut t-on croire qu'un des hommes les plus recherchés du monde et passible des plus lourdes peines pour haute trahison puisse chercher une quelconque célébrité ou bénéfice?
Accueillir M. Snowden devient ainsi une forme de défense pour les libertés et les droits des peuples, y compris, surtout, le peuple des États-Unis d'Amérique, première victime d'espionnage par leur propre gouvernement.
Au-delà de cette question de principe et de cet engagement moral, M. Snowden peut aider sur le plan du contre-espionnage. La NSA définit les normes de sécurité des protocoles de chiffrement et des systèmes de sécurité internationalement adoptés et utilisés aussi bien par les simples citoyens partout dans le monde (communication mobile, transactions bancaires, internet...) que par ces systèmes de communication militaire que les Etats-Unis vendent aux pays du tiers monde en en vantant la sécurité et la fiabilité. Or, nul spécialiste du domaine n'ignore le risque d'existence de "trapdoors", sorte de passage secret, brèches dissimulées au grand public. C'est à travers ces ouvertures volontairement - ou malencontreusement - introduites dans des algorithmes validés par la NSA que le "Big Brother" nous espionne et peut tout savoir sur nos achats sur internet, nos goûts, nos programmes de voyage, mais aussi la teneur des discussions entre nos politiques, nos armées...
Il est plus que jamais urgent de travailler sur des solutions politiques et pratiques pour contrer ces menaces. Une alliance entre Peuples Humbles doit voir le jour, avec deux priorités:
Un grand programme de recherche indépendant pour la veille sécuritaire et l'élaboration d'une nouvelle génération de protocoles et systèmes de communication, pour plus de confidentialité et de respect de la vie privée, et pour renforcer la souveraineté des Etats.
La mise en place de nouvelles relations entre les peuples, basées sur la réciprocité et la complémentarité, pour la prospérité et le progrès humain pour tous.
Voilà le seul remède contre cette "Fabrique du terrorisme".

samedi 3 août 2013

De la Tunisie à l'Egypte: La grande confiscation, dernière partie

De la Tunisie à l'Egypte: La grande confiscation, dernière partie



Publié au HuffingtonPost Maghreb : lien



Un pouvoir au service d'un agenda international sans projet national
L'affaire de l'extradition de Baghdadi Mahmoudi a été, à mon avis, le point culminant de ce que j'appellerais la décadence et la décomposition des institutions de l'état. J'ai écopé d'un an de prison avec sursis et de la privation de certains droits civiques et politiques pour avoir critiqué une grave transgression de la mini-constitution transitionnelle qui régit la Tunisie aujourd'hui (voir mon entrevue du 30 aout 2013 avec le Nouvel Observateur).
J'ai aussi qualifié cette extradition, qui s'était faite avec le concours de l'armée à l'insu du président de la République et Chef suprême de l'armée, de trahison d'état. L'extradition de cet ancien premier ministre de Kadhafi a été exécutée quelques jours avant les élections lybiennes, c'était une carte électorale offerte par les ikhwans tunisiens à leur prolongement "naturel" en Lybie. En ce sens, l'allégeance à l'organisation internationale de la confrérie prime sur l'allégeance nationale.
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L'expulsion de l'ambassadeur syrien en Tunisie et l'accueil de la première réunion des "amis du peuple Syrien" - un club de comploteurs qui planifie la destruction de la Syrie à l'image de l'Irak et de la Lybie - et la complicité évidente du gouvernement dans le convoi de djihadistes en Syrie via la Lybie et la Turquie sont autant de preuves que la Tunisie est gouvernée par un pouvoir au service d'un agenda international et qui n'a aucune considérations pour les intérêts nationaux.
En Egypte, le pays est confronté à d'innombrables défis touchant à sa sécurité nationale et vitale comme le barrage Ennahdha, que l'Ethiopie menace de construire avec la complicité de l'entité sioniste, le trafic d'armes et le terrorisme dans le Sinaï. L'ex-président islamiste Mohamed Morsi ne s'est pas gêné, fin juin 2013 et quelques jours avant son renversement, de décider unilatéralement d'expulser à son tour l'ambassadeur Syrien. Il avait auparavant ouvertement incité les Egyptiens au djihad contre le régime de Bachar et les chiites apostats. Quelques jours après, quatre Egyptiens de confessions chiites ont trouvé la mort par lynchage dans un village égyptien. C'était le prix à payer pour acheter la bienveillance du Qatar et le milliard de dollars prêté par Erdogan aux ikhwans Egyptiens avec des conditions fort avantageuses, alors même que l'Egypte peinait à obtenir un prêt de 4.5 milliards de dollars auprès du FMI.
Le début de la chute?
L'éviction du prince Qatari, orchestrée dans les coulisses des affaires étrangères américaines, le remplacement de son puissant ministre des affaires étrangères, le revers politique encaissé par Erdogan et son parti lors des récents affrontements de la place Taqsim à Istanbul, la série d'avancées de l'armée arabe syrienne après sa victoire clé à Al-Qusair et le renversement du pouvoir islamiste au Caire sont autant de coups durs pour le projet du nouvel ordre Moyen-Oriental dont les Frères musulmans se croyaient enfin être les maîtres, avec le soutien financier du Qatar et le soutien politique et armé des États-Unis et de l'OTAN.
Convaincu que les chars militaires et la force matérielle ne peut fonder une démocratie, j'avais personnellement annoncé, dès les premières heures du renversement de Mohamed Morsi, mon refus total de ce coup d'Etat qui avait obtenu le feu vert américain sous la pression saoudienne.
Après l'échec de l'opposition syrienne dominée par les Frères musulmans, les Américains s'inquiète de la résistance du régime d'Assad et veulent peut être miser sur les djihadistes du Front Al-Nosra pour gagner la guerre sur le terrain. Or les américains savent pertinemment qu'ils ne peuvent pas se passer de l'aide financière et pétrolière saoudienne et, surtout, de l'ascendant qu'ils ont sur les groupes salafistes djihadistes sur le terrain syrien.
C'est dans ce contexte que la chute des Frères musulmans est survenue en Egypte. Bien que je refuse le coup d'Etat opéré contre le président Mohamed Morsi, surtout quand on sait que les "foulouls" y ont joué un rôle central avec l'aide de forces financières internes et étrangères occultes, je note que la confrérie n'a pas fait l'effort de se remettre en question et continue sa diabolisation de l'autre en appelant au meurtre et à la violence.
En Tunisie, Ennahdha et ses alliés fantoches ne semblent pas avoir tiré les leçons de l'expérience égyptienne et continuent dans leur aveuglement et leur arrogance. L'absence d'une feuille de route claire pour les échéances démocratiques à venir, les tergiversations d'une Assemblée constituante en deçà des attentes populaires, la division de l'opposition, la milicisation de la vie politique et l'absence d'une armée politisée pouvant jouer le rôle d'arbitre en cas de crise politique majeure, font craindre les pires scénarios.